Le 1er août 1964, le magazine américain Billboard publie une information étonnante : les ventes d’harmonicas explosent aux États-Unis. Cette soudaine popularité de l’instrument est attribuée à plusieurs artistes en vogue, dont les Beatles et les Rolling Stones, mais aussi – et surtout – à un jeune prodige de la soul et du rhythm and blues : Stevie Wonder.
Un génie précoce à l’harmonica chromatique
Âgé d’à peine 13 ans lorsqu’il enregistre "Fingertips (Part 2)" en 1963, Stevie Wonder impressionne l’Amérique avec un solo d’harmonica d’une virtuosité rare. Contrairement à d’autres musiciens pop qui utilisent l’harmonica diatonique, Stevie joue sur un harmonica chromatique, plus complexe, utilisé dans le jazz et certains répertoires classiques.
Cet instrument permet d’accéder à toutes les notes de la gamme chromatique via un bouton coulissant, autorisant des modulations, des phrases jazzistiques et une expressivité beaucoup plus large. Dans les mains de Stevie Wonder, il devient un véritable instrument soliste, capable de rivaliser avec les saxophones ou les trompettes sur le plan mélodique.
Un son jazz dans la soul
Même s’il est rattaché à la Motown et à la soul music, Stevie Wonder a toujours eu une sensibilité jazz : improvisation, harmonies riches, liberté rythmique… Ses solos d’harmonica sont construits comme de véritables chorus de jazzmen. Il injecte dans la pop mainstream des couleurs harmoniques inhabituelles, ce qui attire l’attention des musiciens de studio, mais aussi des jeunes amateurs d’harmonica qui se tournent de plus en plus vers le modèle chromatique.
L’effet Billboard : quand la musique influence le marché
Le rapport de Billboard en 1964 n’est pas anodin. Il reflète l’impact direct des icônes musicales sur les tendances commerciales. Les fabricants comme Hohner, leader mondial de l’harmonica, voient leurs ventes grimper, en particulier chez les jeunes. Si certains se contentent de reproduire les intros des Beatles, d’autres découvrent le potentiel jazz de l’instrument en écoutant les envolées de Stevie Wonder.
Ce phénomène offre une seconde jeunesse à l’harmonica, souvent cantonné jusque-là au blues rural ou au folk traditionnel. Grâce à Stevie Wonder, il pénètre l’univers de la musique populaire urbaine, tout en maintenant un lien solide avec la tradition jazz.