Michael Jackson est-il vraiment l’inventeur du Moonwalk ?

Michael Jackson est-il vraiment l’inventeur du Moonwalk ?

Une nouvelle histoire de jazz racontée par Benoit Thuret

Lorsque Michael Jackson fait glisser ses mocassins noirs sur le sol de la scène télévisée de Motown 25, en 1983, le monde entier retient son souffle. Le mouvement est si fluide, si irréel, qu’il semble défier la gravité. Le moonwalk vient d’entrer dans la légende. Pourtant, loin d’être une invention isolée, ce pas mythique plonge ses racines dans l’âge d’or du jazz et des clubs enfumés des années 1930.

Avant de devenir la signature d’une pop futuriste, le moonwalk était un pas de danse ancré dans le rythme syncopé et l’énergie expressive du jazz. À l’époque, ce qu’on appelle alors le backslide circule dans les cabarets afro-américains, porté par des performers flamboyants comme Cab Calloway, figure centrale du jazz swing. Cab Calloway, connu autant pour son chant scat que pour ses prouesses scéniques, glisse sur scène avec un style déjà très proche du moonwalk.

Dans les années 1940, un autre artiste, Bill Bailey, ancien danseur de claquettes et frère de la chanteuse Pearl Bailey, dans le film Cabin in the Sky, un moonwalk avant l’heure. Talons levés, glissade arrière millimétrée : le geste est là, capté sur pellicule, dans l’ambiance feutrée d’un film où le jazz et la comédie musicale s’entrelacent.

Ce lien avec le jazz ne s’arrête pas là. Le mime Marcel Marceau, très influencé par les rythmes du swing et par l’esthétique du jazz américain, intègre lui aussi une version stylisée du mouvement dans sa fameuse "marche contre le vent". Bien que silencieuse, sa performance emprunte au jazz cette qualité d’improvisation maîtrisée, ce jeu constant entre le contrôle du corps et l’illusion.

Dans les années 1970, le mouvement migre vers les clubs funk et les scènes de breakdance. Des groupes comme les Electric Boogaloos, héritiers de cette tradition du corps expressif et syncopé, modernisent le backslide. Jeffrey Daniel, membre du groupe Shalamar et lui-même inspiré par les danseurs de rue et les anciens du jazz, devient l’un des transmetteurs du mouvement à Michael Jackson.

Ce dernier, en perfectionniste, va le sublimer. Il ne crée pas le moonwalk — il le met en scène. À travers lui, c’est tout un héritage qu’il incarne : du swing des années 30 au funk des années 70, en passant par le mime et la rue. Le moonwalk devient un point de convergence, un hommage silencieux à des décennies d’expérimentations artistiques.